juin 03, 2005

Béatitudes Indiennes

Partir........
c'est aujourd'hui, c'est ce matin.
C'est se lever tôt, prendre le taxi appeler la veille.
C'est Maman et Moi dans l'aéroport encore désert, lourd de silence...
C'est l'arrivée d'Elianne, Joy et Richard...
C'est le décollage....
Je me souviens davantage de notre départ en termes de sensations qu'en nombre de faits.
Images et sons éclatent dans ma tête, comme autant de sensations multipliées et amplifiées, par l' incompressible sentiment de bonheur d'accomplir enfin, ce à quoi nous travaillons depuis si longtemps déjà.
Avoir un objectif et l' atteindre.

En Inde en des temps très anciens, un valeureux Maître d'arme avait trois apprentis.
La flèche de son arc épousait le vent,
La justesse de son tir pourfendait sa proie.
Ce vaillant arché réunit les trois jeunes seigneurs,
"Je vous ai enseigné tout mon art, je souhaite aujourd'hui mesurer la portée de mon enseignement, nous partirons demain, dès l'aube, aux pieds des Sept Montagnes"
Ainsi avait parlé le vieux Maître.
Ils partirent avec leurs arcs et des flèches pour seul et unique bagage.
La marche fut rude, et le trajet périlleux.
Mais au matin du deuxième jours, Ils arrivèrent enfin aux pieds des Sept Montagnes, là où l'aigle et le faucon déchirent les nuages.
"Que chacun d'entre vous choisisse sa proie, mais avant de tirer votre flèche, vous devrez tour à tour me dire ce que vous voyez"
Ainsi avait parlé le vieux Maître.
Le premier choisit sa proie et dit au Maître " Maître, je vois le ciel et les nuages, je vois la puissance de l'aigle dans son envole, je vois...."
Mais le Maître l'interrompit " range ton arc, range tes flèches, tu ne pourras pas tirer de flèche aujourd'hui, ni les jours suivants "
Ainsi avait parlé le vieux Maître.
Le second choisit sa proie et dit au Maître " Maître, je vois la montagne où niche l'aigle, je vois ses plumes, je vois ses ailes...."
Mais le Maître l'interrompit " range ton arc, range tes flèches, tu ne pourras pas tirer de flèche aujourd'hui, ni les jours suivants "
Ainsi avait parlé le vieux Maître.
Et toi que vois tu ? dit le Maître au dernier de ses apprentis " ho Maître! L'aigle est sur le flanc de la montagne, je vois son oeil"
"Tire dès maintenant, ne tarde pas, rien ne doit s'accomplir si tu ne distingues pas parfaitement le point le plus sensible de ta cible"
Ainsi avait parlé le vieux Maître.
Avoir un objectif et apprendre à l' atteindre, le Prince fit bon usage de la leçon, et longtemps encore résonnèrent en lui les paroles de son Maître " ne vise rien qui ne soit pas réel, ne vise rien que ne tu distingues pas précisément et clairement ".
Car ainsi parlait le vieux Maître.

Comme des flashs syncopés je revois depuis notre avion , notre descente vers cette Terre Indienne.
Mes yeux étaient plongés dans le vert si dense de la forêt tropicale. L'avion lui-même semblait happé par cette jungle. Dès lors une partie de ma conscience c'est envolée , l'Inde est une voleuse d'âme...
C'était un peu comme de rentrer chez soit après une trop longue absence, à la sortie de l'avion la moiteur de l'air, la chaleur, tout me semblait si étrangement familier. Il nous fallait reprendre les bagages, puis sortir de l'aéroport, une foule immense était là, pressée contre les barrières extérieures, un milliard d'yeux, un milliard d'âmes.
Dans un invraisemblable chaos de couleurs et bruits au milieu de cette vague humaine, surgissant de nul part Ramesh nous guide... il me fallait suivre Elianne, suivre Ramesh ne pas les perdre de vue, mais regarder aussi... regarder encore et toujours.... regarder à en perdre le souffle, et toutes ces sensations qui s'emmêlaient et s'entremêlaient me plongeaient dans un délicieux tourbillon.
Longtemps encore je me souviendrait de ce moment dans la voiture qui nous menait à la maison, cette ivresse, cette douce béatitude ... chaque sons , chaque couleurs me parlaient plus qu'à l'ordinaire, car l'Inde est colorée et musicale, noyée dans un flot de verdure où des plantes démesurées plongent leurs racines dans une terre rouge gorgée des eaux de la mousson.....
Le cri incessant des animaux nous surprend jusque tard dans la nuit, l'orchestre tropical a plus d'une corde à son arc , les sonorités sont si variées que j'oublie trop souvent de dormir pour mieux les entendre, et je reprends le plus tôt possible, le jour se levant mon écoute attentive.
Rien ne serait perturber cette état de grâce dans lequel l'Inde me baigne depuis mon arrivée, L'Inde m'est familière, tout m'y semble simple, si étrangement proche, la chaleur humide, la poussière rouge des routes, le vert si vert . Je ressens une intimité naturelle avec ce monde pourtant tellement nouveau, mais déjà si profondément inscrit dans ma mémoire.
En Inde, le temps aussi prend son temps, tout vit au ralenti dans une incroyable richesse de petits événements qui font de ce pays une Terre si attachante.